L'Antre d'un poulpe

[anatèm]

· Grishka
Livre
Auteur: Neal Stephenson
Éditeur: Albin Michel
Traducteur: Jacques Collin
Format: numérique, fr
Longueur: 1216 pages en 2 tomes

J’espère que vous avez passé de bonnes fêtes, moi j’ai fini 2024 et commencé 2025 avec [anatèm] de Neil Stephenson. Un peu comme Terra Ingota, c’est un de ses ouvrages qui s’impose progressivement dans ma PAL à force d’en entendre parler. Dans le même ordre d’idée, c’est aussi une œuvre dont la réputation prend au fil des ans des proportions intimidantes.

Fraa Érasmas est un jeune chercheur de la congrégation de Saunt-Édhar, véritable sanctuaire pour les mathématiciens et les philosophes. Depuis des siècles, ce sanctuaire a vu gouvernements et cités se développer et s’effondrer autour de lui. Cette congrégation, méfiante vis-à-vis d’un monde extérieur qu’elle juge violent, ne s’ouvre aux autres qu’une fois tous les dix ans. C’est lors d’une de ces courtes périodes d’échanges avec l’extérieur qu’Érasmas est confronté à une énigme astronomique qui n’engage rien de moins que la survie de toutes les congrégations, y compris la sienne.

Je le redis, j’aime la science-fiction, mais ne me considère pas comme un connaisseur. J’ai par exemple parfaitement conscience d’être passé à côté d’un paquet de livres, toutes époques confondues. Ce n’est que récemment que j’ai commencé à approfondir ce genre, sans toutefois chercher à rattraper les classiques.

Après avoir terminé Voyage vers l’infini , je me suis finalement décidé à entamer [anatèm], mais avec une certaine appréhension. Le livre semble autant réputé pour l’inventivité de son écriture et la qualité de son récit, que pour la difficulté à l’aborder. Trois points que je peux confirmer sans détour, mais avec nuance.

Les 100 à 200 premières pages paraissent effectivement assez raides ! S’agissant d’un monde original, le dépaysement est de mise et l’auteur paraît prendre plaisir à balancer le lecteur dans le grand bain sans lui fournir de bouée. Le gros de la « difficulté » ne vient pas tant de l’univers (on trouve un vrai jeu sur le décalage avec le nôtre, donc on a quand même quelques bases), que du vocabulaire1. Stephenson réalise un travail incroyable sur cet aspect, qui force le respect. L’équilibre reste presque toujours juste entre la nouveauté du mot, et le sens qu’il recouvre : il s’agit souvent de déformations ou d’accrétions de différentes syllabes qui évoquent quelque chose. Les exemples les plus connus sont Saunt qui désigne en réalité un savant mais joue la proximité avec saint. Ou encore brelot qui nomme tout appareil similaire à un smartphone2.

On doit impérativement rendre hommage au travail incroyable réalisé par le traducteur Jacques Collin. Je n’ai lu le livre qu’en français (pas assez fou pour le tenter en anglais), et je ne peux qu’imaginer le travail nécessaire pour adapter tout cela à notre langue, tout en conservant le sens des choses. C’est vraiment remarquable3.

Le texte introduit certaines sections par un extrait d’un dictionnaire issu de la diégèse de l’univers, qui permet d’expliciter le sens des termes dans les différents langages du monde d’Arbre.

Un aspect dont on ne parle pas beaucoup à propos d’[anatèm], c’est de son humour. Je rejoins totalement L’Épaule d’Orion sur ce point (chroniques du tome 1 & du tome 2) : l’auteur fait preuve d’un humour très plaisant et assez constant, plutôt fin dans son approche. La difficulté des premières pages m’a un peu fait passer à côté, mais, une fois acclimaté, j’ai pu en profiter avec plaisir.

Je ne peux que saluer la haute qualité de l’écriture tout au long du récit, mais je ne pense pas pouvoir rendre justice à l’intelligence de l’intrigue. Le récit aborde plusieurs sujets, notamment des questions philosophiques, scientifiques et sociales, ce qui peut être intimidant, mais reste accessible. Stephenson a un talent certain pour aborder chaque point simplement, faire comprendre son sens et jouer avec. Faut-il pour autant connaitre la physique quantique (je serai presque tenté de dire physique cantique ici), Aristote, Platon et j’en passe pour apprécier le roman ? Pas du tout. Ce sera certainement un plus pour certains, mais c’est assez facultatif.

Et sans même parler de l’écriture, j’ai totalement adoré l’histoire du début jusqu’à la fin. Après avoir terminé le tome 1, je me suis dit que j’allais faire une pause avec un bouquin plus court et moins dense. J’ai tenu 2 pages avant de me ruer sur le tome 2. 😅

D’ailleurs, je recommande de les lire à la suite. Si on laisse passer trop de temps entre les deux parties, on risque d’oublier le sens de certains mots et de lutter pour rentrer à nouveau dans le texte. Autant profiter de la dynamique de l’ensemble et l’avaler d’une traite.

Sans surprise [anatèm] s’impose comme un gros coup de cœur.

Couverture de « [anatèm] » tome 1, de Neal Stephenson
Couverture du tome 1

Couverture de « [anatèm] » tome 2, de Neal Stephenson
Couverture du tome 2


Site de l’éditeur (édition intégrale)


  1. Un lexique est proposé à la fin du 2e tome uniquement, avec des définitions plus claires, au besoin. ↩︎

  2. Et Antidote donne également 2 définitions que je ne connaissais pas. « Coiffure traditionnelle féminine de la Franche-Comté » et « Idiot, simple d’esprit ». ↩︎

  3. Je vous recommande la lecture de cette interview passionnante sur le sujet. ↩︎