Bikepunk
Rayon fin du monde
Après un livre sur le concept de transition énergétique, quoi de mieux qu’un cocktail à base de fin du monde, de vélo et de machine à écrire ?
Vingt ans après le flash, la catastrophe qui a décimé l’humanité, la jeune Gaïa n’a qu’une seule solution pour fuir l’étouffante communauté dans laquelle elle a grandi : enfourcher son vélo et pédaler en compagnie de Thy, un vieil ermite cycliste. Pour survivre dans ce monde dévasté où toute forme d’électricité est impossible, où les cyclistes sont pourchassés, où les jeunes femmes fécondes sont très recherchées, Gaïa et Thy ne pourront compter que sur leur maîtrise du guidon.
L’histoire de ma rencontre avec Bikepunk commence par la découverte du blog de Ploum il y a quelque temps, puis de son compte Mastodon. Il y développe de nombreuses idées et une vision du monde et de la technologie avec lesquelles je peux avoir une affinité. Sans aller jusqu’à me lancer sur le protocole Gemini, la lecture de ses billets de blog m’a donné l’élan nécessaire à la refonte du mien il y a quelques mois, un projet trop longtemps reporté.
Dès lors lorsque Ploum a commencé à parler de son prochain livre, Bikepunk, l’intérêt était là. Évidemment, le fait que je me sois remis au vélo l’an dernier après des années de voiture n’a rien arrangé.
Le livre prend donc place dans un futur proche, quelque temps après la disparition de toute électricité sur terre. Les humains survivants vivent dans des communautés isolées et low tech. Si ce point de départ m’a immédiatement rappelé la série télé Revolution, il s’en écarte assez rapidement en dépeignant non pas l’hyperviolence à la Mad Max, ni l’optimisme à la Becky Chambers, mais un entre deux assez mesuré, quoi que grinçant.
On y suivra principalement Thy, un ermite sexagénaire érudit, et Gaiä, une jeune fille du village voisin qui apprend le vélo à ses côtés. La dynamique entre les deux personnages fonctionne bien, le caractère intense et énergique de l’ado faisant un contrepoids à la mesure du vieux reclus. L’inventivité de Gaïa pour les insultes m’a beaucoup fait rire.
Chierie chimique de bordel nucléaire de saloperie vomissoire de permamerde !
Pédale dure
Rapidement, les choses se gâtent et nos deux protagonistes se retrouvent sur les routes. Si l’on évite le cliché d’un no man’s land à l’américaine au profit de la campagne française, il ne faut pas croire que le récit prendra la forme d’une promenade bucolique et méditative. La violence physique est rare (mais pas absente) et Ploum laisse transparaitre une rage latente en permanence. Qu’il s’agisse de la voiture, de la consommation, de la dépendance aux gadgets ou à l’électricité, à la pollution et à l’aliénation du monde moderne, la société en prend pour son grade.
Si l’on est familier avec les écrits et les idées de l’auteur, on ne sera pas étonné. C’est un ouvrage résolument politique à la fois dans ce qu’il promeut et dans ce qu’il critique, et c’est selon moi sa plus grande force. Avoir quelque chose à dire et le faire avec les tripes.
Comment justifier de déplacer plus d’une tonne de métal par individu, sur des infrastructures incroyablement complexes à entretenir tout en produisant une pollution sonore et aérienne importante ? Sans compter le danger de mort permanent auquel s’exposaient les voyageurs.
D’ailleurs, l’auteur ne fait pas de détour : il n’est pas question d’enrober les péripéties, de développer des descriptions détaillées ou de complexifier inutilement le texte. Celui-ci est assez court, sa lecture est fluide et agréable.
Si le récit esquive le futur guerrier de la route et l’optimisme béat, il glisse sur un terrain un peu plus connu dans sa 3e partie avec la découverte d’une proto-société d’ascendance militaire un peu plus convenu (la parenté avec Revolution ou même The Last of Us est un peu plus visible ici). Étonnamment, l’origine du flash ne m’a pas passionné outre mesure, si ce n’est peut-être pour la critique du technosolutionnisme : ça ne m’aurait pas gêné que ça demeure un mystère.
Gaïa déchaînée
L’un des aspects dont j’étais le plus curieux, c’est la place centrale du vélo dans l’ouvrage. Il est présent sur la couverture, mis en avant dans le 4e de couverture, dans la communication… On pourrait craindre un gimmick marketing, pour un élément périphérique du texte.
Que nenni.
Ne pas embrasser le vélo lorsqu’il n’était qu’un choix en fit une nécessité.
La bécane est une technologie. Analogique, mécanique, fiable.
C’est un moyen de transport : il est rapide ou lent, il émancipe et rapproche son conducteur du monde qui l’entoure, transformant la distance en voyage.
C’est une alternative et une solution, un outil, une extension.
Il est social, efficace, émancipateur.
Le vélo est tout cela à la fois, et le récit n’en perd pas une miette. L’histoire ne tourne pas autour, mais le cycle est présent, tantôt accessoire, tantôt essentiel. Comme le livre, il est éminemment politique, message et messager.
J’ai éprouvé un certain plaisir à la lecture, autant pour les passages à vélo que pour les moments où il est en toile de fond. L’auteur transmet clairement sa passion et ses convictions, difficile de ne pas être conquis.
La science est l’acte de construire un modèle mental en se basant sur les observations de la réalité. La religion est la tentative de modeler la réalité pour la faire correspondre à un modèle mental préconçu. Les deux sont opposés et, par définition, incompatibles. Malheureusement, même les scientifiques les plus rigoureux sont prompts à transformer leur domaine de recherche en religion.
Grain de selle
Je n’ai qu’un seul reproche à faire. Et je ne suis pas certain que ça en soit un. Le seul frein dans ma lecture, c’est les dialogues. J’ai ressenti un décalage avec la majeure partie des discussions entre les protagonistes. Ils vont à l’essentiel (ce qui n’est pas un défaut) et me semblent parfois trop simples. Ce n’est peut-être pas le bon terme, disons plutôt qu’ils manquent d’oralité. Je me suis fait la réflexion que des personnes ne parlent pas vraiment comme ça, les phrases manquent un peu de naturel.
Mais ce petit inconfort est très personnel, et ne m’a pas vraiment empêché de dévorer le livre et d’y prendre beaucoup de plaisir. Cet aspect rejoint ce que j’évoquais plus haut : un récit qui va à l’essentiel, qui ne cherche pas à se montrer plus malin qu’il ne faut. Il a quelque chose à dire, et il le transmet sans fard, sans détours ni circonvolutions inutiles. Sous un aspect simple, cela peut être puissant. Et de temps en temps, ça fait du bien.
Je le dis souvent en découvrant un auteur que j’apprécie, mais il va me falloir explorer les autres œuvres de l’auteur. Et c’est d’autant plus vrai que j’ai déjà acheté Printeurs et Stagiaire au statioport Omega 3000 : j’ai hâte de découvrir si le fond et la forme sont du même tonneau.
La culpabilité éprouvée par celleux qui essayèrent et échouèrent sera toujours infiniment plus importante que celle ressentie par celleux qui choisirent de ne rien faire. Ce simple paradoxe, cette déficience morale de la psyché humaine explique, à elle seule, bien des avatars de l’humanité.
[…] avec l’âge, la mémoire supplée progressivement aux sens défaillants. On déménage progressivement d’un univers de sensations vers un monde de souvenirs.