L'Antre d'un poulpe

It Doesn't Have to Be Crazy at Work

· Grishka
Lecture
Auteurs: Jason Fried, David Heinemeier Hansson
Éditeur: Harper Business
Format: numérique - en
Longueur: 240 pages

Cet été, je vous parlais de Remote : Office Not Required qui porte sur le télétravail. Dans le prolongement de ces réflexions, les auteurs, CEO et CTO de la société Basecamp, proposent également It Doesn’t Have to Be Crazy at Work.

Il s’agit toujours d’un ouvrage dédié au monde du travail, mais avec un spectre bien plus large que le simple prisme du télétravail. J’avais particulièrement apprécié le premier avec son style très dynamique, très clair et agréable à lire. Et surtout un propos pertinent.

Je me suis logiquement jeté dans ce nouvel ouvrage assez rapidement, avec l’espoir d’y retrouver la même sensibilité et les mêmes positions marquées quant au milieu professionnel.

But the thing is, there’s not more work to be done all of a sudden. The problem is that there’s hardly any uninterrupted, dedicated time to do it. People are working more but getting less done. It doesn’t add up—until you account for the majority of time being wasted on things that don’t matter.

Avant de parler du contenu, un mot sur le contenant. J’ai lu ce livre en anglais et en digital numérique. Comme pour le premier, aucune difficulté particulière à redouter ici. Les auteurs usent d’un langage concis et précis, sans termes trop techniques ou tournures difficiles à suivre. On sent un vrai travail sur la rédaction avec comme objectif la volonté d’être compris et que les idées soient exposées sans mauvaise interprétation possible, sans surplus inutile.

J’ai également retrouvé le découpage en sections courtes, réparties dans 7 parties thématiques. Chaque section, ou chapitre, s’étend sur 1 à 5/6 pages : juste ce qu’il faut pour explorer un point précis. Une fois de plus, ce format implique une lecture très rapide et agréable. Le rythme participe grandement du plaisir. Les illustrations sont ici remplacées par des portraits de personnages célèbres, accompagnés un court texte expliquant leur façon de travailler.

Il y a un petit travers toutefois. Le livre reste assez court (environ 240 pages) et il est tentant d’avancer le plus vite possible. Je recommande toutefois de limiter la lecture à des petites sessions d’une poignée de chapitres à la fois. Il est important de prendre le temps d’absorber les thèmes abordés et de laisser infuser avant de passer à la suite.

Couverture du livre « It doesn’t have to be crazy at work » de Jason Fried et David Heinemeier Hansson
Couverture du livre en anglais

Afin de se mettre rapidement dans le bain, le premier chapitre s’intitule It’s Crazy at Work. Simple note d’intention qui met en lumière, de façon simplifiée, l’ensemble du problème et ses origines, avant de poser la metasolution : le calme.

If it’s constantly crazy at work, we have two words for you: Fuck that. And two more: Enough already.

La quantité de points abordés apparaît considérable. Si certaines thématiques recoupent des sujets abordés dans Remote, une exploration bien plus large se déploie ici. Sans entrer dans le détail (trop long et qui mérite d’être découvert personnellement), qu’est-ce qui me parle autant dans ce livre ?

The modern workplace is sick. Chaos should not be the natural state at work. Anxiety isn’t a prerequisite for progress. Sitting in meetings all day isn’t required for success. These are all perversions of work – side effects of broken models and follow-the-lemming-off-the-cliff worst practices. Step aside and let the suckers jump.

Et bien, ce n’est pas évident à résumer. En premier lieu, une vision du travail centrée sur les personnes et la qualité du boulot accompli. Une approche humaine qui pourrait, dans d’autres circonstances, sonner creux. Pensez donc, il est plus facile de vendre un livre en précisant qu’on prend soin de ses salariés plutôt que de donner un cours d’exploitation capitaliste avec l’immanquable chapitre « comment presser votre main d’œuvre comme un citron pour en extraire chaque dollar ». Un ouvrage cynique ?

Mais ce n’est pas la philosophie maison et Basecamp prend le contrepied de beaucoup d’autres sociétés. Et selon toute vraisemblance, ça fonctionne très bien. L’approche globale est d’ailleurs documentée et expliquée en dehors du livre, comme on peut le voir ici.

Pour le plaisir, voici quelques points permis d’autres qui ont particulièrement retenu mon attention.

Ne pas se focaliser sur la concurrence

Car finalement, peu importe ce qu’ils font en face, ce qu’ils copient ou font autrement. Ce qui compte c’est notre façon de faire et notre travail. Ce qu’on va proposer et si ça plaira ou non.

What’s our market share? Don’t know, don’t care. It’s irrelevant. Do we have enough customers paying us enough money to cover our costs and generate a profit? Yes. Is that number increasing every year? Yes. That’s good enough for us.

Le travail ET la santé

Vous avez jeté un œil au rayon développement personnel, section comment réussir de votre librairie préférée récemment ? On met en avant le fait qu’il faut se dépasser, lutter, suer pour arriver à ses fins. Sauf qu’au final, la valeur du travail n’est pas indexée sur la difficulté à l’accomplir. Il ne repose que de la qualité du boulot rendu.

Just have a look at the entrepreneur tag on Instagram. ‘Legends are born in a valley of struggle!’; ‘You don’t have to be ridiculously gifted, you just have to be ridiculously committed’; and ‘Your goals don’t care how you feel.’ Yeah, it just keeps going like this until you’re ready to puke.

Requiring discomfort – or pain – to make progress is faulty logic. NO PAIN, NO GAIN! looks good on a poster at the gym, but work and working out aren’t the same. And, frankly, you don’t need to hurt yourself to get healthier, either.

Yet somehow it’s still frequently seen as heroic to sacrifice yourself, your health, and even your ability to do your job just to prove your loyalty to THE MISSION. Fuck the mission. No mission (in business, anyway) is worthy of such dire personal straits.

Une heure ?

Dans un très court chapitre appelé *The Quality of an Hour", les auteurs reviennent sur un point qui me tient à cœur. Nous sommes capables de fournir un travail de qualité à partir du moment où nous avons l’espace et le temps pour nous concentrer sur ce que nous faisons. Sans interruption, sans chavirer d’une tâche à l’autre en permanence.

There are lots of ways to slice 60 minutes.
1 × 60 = 60
2 × 30 = 60
4 × 15 = 60
25 + 10 + 5 + 15 + 5 = 60

All of the above equal 60, but they’re different kinds of hours entirely. The number might be the same, but the quality isn’t. The quality hour we’re after is 1 × 60. A fractured hour isn’t really an hour – it’s a mess of minutes. It’s really hard to get anything meaningful done with such crummy input. A quality hour is 1 × 60, not 4 × 15. A quality day is at least 4 × 60, not 4 × 15 × 4.

It’s hard to be effective with fractured hours, but it’s easy to be stressed out: 25 minutes on a phone call, then 10 minutes with a colleague who taps you on the shoulder, then 5 on this thing you’re supposed to be working on, before another 15 are burned on a conversation you got pulled into that really didn’t require your attention. Then you’re left with 5 more to do what you wanted to do. No wonder people who work like that can be short – or ill-tempered.

Nous n’avons pas besoin d’êtres disponibles tout le temps

Les outils de communication en temps réel portent deux grands défauts : tout le monde sait si quelqu’un est disponible (présent) et tout le monde attend une réponse immédiate à la moindre sollicitation.

Ces interactions sont-elles urgentes ? Rarement. Sont-elles très importantes ? Rarement également. Nécessitent-elles une réponse dans la minute afin de satisfaire l’impatience de la personne en face ? Non.

Alors évidemment il existe des urgences ou des métiers ou les réponses sont nécessaires maintenant. Mais réfléchissons-nous réellement à cela avant de déranger quelqu’un d’autre ? Son temps est-il moins important que le nôtre ?

Une majorité de ces interactions peuvent passer par le mail et recevoir une réponse appropriée plus tard. Même une question par chat peut en réalité attendre un moment plus opportun (je n’hésite personnellement plus à ignorer quelques notifications, voir à repasser des messages en « non lu » pour m’en occuper plus tard). Sans oublier qu’à refuser de juste réagir pour prendre le temps de la réflexion et du recul, on améliore sensiblement la qualité de nos réponses.

Et ceci pourrait être favorisé par un autre choix simple : supprimer les statuts de présence. Pour une vaste majorité de personnes, savoir qu’un interlocuteur est disponible rend la sollicitation trop facile. À part pour quelques postes de support ou autre dont la disponibilité participe du rôle, a-t-on besoin de savoir qui fait quoi en permanence ?

The problem comes when you make it too easy – and always acceptable – to pose any question as soon as it comes to mind. Most questions just aren’t that pressing, but the urge to ask the expert immediately is irresistible.

The person with the question needed something and they got it. The person with the answer was doing something else and had to stop. That’s rarely a fair trade.

In almost every situation, the expectation of an immediate response is an unreasonable expectation. Yet with more and more real-time communication tools creeping into daily work – especially instant-messaging tools and group chat – the expectation of an immediate response has become the new normal.

How fast you can reach someone has nothing to do with how quickly they need to get back to you. The content of the communication dictates that. Emergencies? Okay. You need me to resend that thing I sent you last week? That can wait. You need an answer to a question you can find yourself? That can wait. You need to know what time the client’s coming in three days from now? That can wait.

On ne recrute pas un CV ni une lettre de motivation

Il semblerait que chez Basecamp, on ignore les CV. Ils ne représentent pas la qualité du travail, seulement un cliché hypertrophié d’une carrière dont on ne sait finalement rien de concret.

Peu importe que le postulant soit un BAC+16 clinquant, sorte des bancs d’une école prestigieuse ou ait fait ses armes chez les sociétés les plus cotées en bourse. D’autres critères sont plus importants et intéressants : la qualité du travail, l’état d’esprit, la capacité à compléter une équipe.

L’idée va même plus loin : il est inutile et contreproductif de chercher et recruter les meilleurs. Une équipe fonctionne d’autant mieux que ses membres sont complémentaires et d’un niveau équivalent. Un individu qui n’est pas au niveau n’est ni plus enviable ni plus facile à gérer qu’un autre surqualifié qui survole le groupe.

And sometimes it’s more subtle than that. Someone may be the right individual fit, but they may not fit the team. Whenever someone joins (or leaves) a team, the old team is gone. It’s a new team now. No matter the group, every personnel change changes the dynamics.

But it’s even more than that. We look for candidates who are interesting and different from the people we already have. We don’t need 50 twentysomething clones in hoodies with all of the same cultural references. We do better work, broader work, and more considered work when the team reflects the diversity of our customer base. ‘Not exactly what we already have’ is a quality in itself.

Ne pas chercher à être excellent partout

Un travers commun, que je partage d’ailleurs encore trop, est de souhaiter faire mieux en toute circonstance. De juger que tel élément, tel process, tel graphique, tel objectif ne sont pas encore au niveau, qu’on peut faire encore un peu mieux.

Mais c’est souvent inutile. Nous possédons des ressources limitées, tant personnelles que collectives. Les utiliser efficacement consiste à effectuer des choix et à se satisfaire d’un bien voir d’un vague suffisant là où il faut. Le temps et l’énergie dépensés à faire mieux sont rarement rentabilisés.

Choisir ses combats résume finalement très bien cette idée. Tout n’en vaut pas le coup, il faut trier et lâcher prise sur le reste, se concentrer sur ce qu’on peut réellement accomplir et qui aura un impact concret.

Sometimes you have to fight against the obvious. And sometimes you have to recognize that time in doesn’t equal benefits out. Doing nothing can be the hardest choice but the strongest, too.

Calm requires getting comfortable with enough. While there’s no hard-line definition of when’s enough or what’s enough in every situation, one thing’s for sure: If it’s never enough, then it’ll always be crazy at work. A few years ago, we looked at the time it took to answer emails from customers. Sometimes it took hours. While that might seem fast to a lot of people accustomed to waiting days for a reply, it wasn’t fast enough for us. So we started by setting a target: one hour.

The vast majority of the hundreds of customers writing to us every day should get a response within one hour. No autoresponders, just real humans. Real fast. To do that, we hired up, plastered the fast response promise on our website, started responding quicker and quicker, and began beaming with pride at our newfound capability.

Then we got greedy for more. Hey, if we can get down to one hour, why not 30 minutes? So we did that. Why not 15 minutes? So we did that. WHY NOT TWO MINUTES? SO. WE. DID. THAT! Seriously, two minutes. Some in even one minute! And why not, right? Why not be as fast as possible? You can never get back to people fast enough, right? Wrong.

Crazy?

Je m’arrête là, mais le livre regorge d’exemples. Ce qui rend ce retour d’expérience d’autant plus précieux reste que Basecamp n’a pas trouvé cette formule en claquant des doigts. Il y a eu des erreurs, des impasses, des renoncements. Et c’est ce parcours par itération, par tâtonnement, qui donne son poids aux arguments.

La lecture est inspirante. Elle a aussi le mérite de mettre en relief une sorte d’idéal avec son propre environnement de travail. Et je ne sais pas pour vous, mais de mon côté on ne s’en sort pas pas si mal. :)

Je vous laisse sur une dernière citation, qui apporte une perspective intéressante.

It begins with this idea: Your company is a product. Yes, the things you make are products (or services), but your company is the thing that makes those things. That’s why your company should be your best product.

But when you think of the company as a product, you ask different questions: Do people who work here know how to use the company? Is it simple? Complex? Is it obvious how it works? What’s fast about it? What’s slow about it? Are there bugs? What’s broken that we can fix quickly and what’s going to take a long time?

(Les passages en gras dans les citations sont de mon fait)