L'Antre d'un poulpe

L'invention du représentant de la planète 8

· Grishka
Livre
Auteur: Doris Lessing
Éditeur: La Volte
Traducteur: Sébastien Guillot
Format: papier - fr
Longueur: 176 pages

Depuis quelque temps, je m’intéresse de loin au catalogue des éditions La Volte, la faute à un certain Alain Damasio figurez-vous. Alors que mon premier exemplaire de La Horde du Contrevent est au format poche, la sortie des Furtifs a amené l’auteur en terre lyonnaise. J’ai donc fait le déplacement, espérant obtenir une copie dédicacée.

Hélas, alors que j’avais prévu d’arriver juste dans les temps, il y avait foule et plus aucune place dans la file d’attente. Drame. Je repars donc avec un La Horde en grand format (ça fera que ma troisième édition avec la numérique) et pas mal de frustration.

S’en suite quelque visites sur le site de La Volte, l’abonnement au compte Mastodon où je découvre l’annonce de la sortie de L’invention du représentant de la planète 8 de Doris Lessing. Peu de temps après, je craque et commande un exemplaire dans ma librairie préférée.

Premier point à savoir si, comme moi, vous ne faites pas attention : ce livre est le 4e opus du cycle « Canopus dans Argo  : Archives », disponible chez La Volte. J’avoue ne pas connaitre les liens entre chaque volume, mais cela ne m’a pas gêné à la lecture.

Deuxième point : n’ayant eu aucune notion du style de l’ouvrage avant de l’acquérir, je ne m’attendais absolument pas à ce type de… récit. À moins que « narration » soit un meilleur terme ? Pour être clair, c’est une bonne surprise dans le cas présent.

J’ai ainsi découvert une écriture très particulière, à la fois très précise. L’ensemble est concis, rien ne dépasse, tout en prenant son temps. Le travail sur cet aspect force le respect : s’il est difficile de déterminer le laps de temps écoulé entre le début et la fin, la temporalité apparait flexible, tantôt se dilate jusqu’à faire ressentir chaque seconde tandis que des jours, des semaines ou plus peuvent sembler s’écouler en quelques mots. Le rythme est insaisissable et s’accorde parfaitement avec le fond : la lente agonie d’un peuple donc le monde blanchit et se fige chaque jour un peu plus, semble ralentir de façon exponentielle jusqu’à l’arrêt total. Comme si chaque seconde avant la fin du compte à rebours n’était pas plus rapide, mais infiniment plus lente que la précédente, sans jamais tout à fais s’arrêter. Ce qui, dans un sens, rapproche le livre du conte.

Un autre point marquant, le côté totalement intemporel de l’histoire. On est sûr de la SF écrite en 1982. Alors que d’autres œuvres peuvent parfois apparaitre datées, tant la vision évoquée est basée sur un imaginaire contraint par le langage de l’époque, il n’en est rien ici. Je me faisais la réflexion, après chaque session de lecture, que le livre aurait aussi bien put être écrit aujourd’hui. Doris Lessing évite cette convention courante en science-fiction qui consiste à inventer des mots et formulations pour projeter le lecteur dans un futur forcément nouveau et étrange à la fois.

Tout ici est immédiatement compréhensible, le choix des mots est à la fois diablement efficace et fluide : alors que tout est décrit par des termes connus et clairs, le monde décrit n’en parait pas moins étranger.

Vous aurez remarqué le soin apporté jusqu’ici pour éviter d’aborder frontalement l’histoire elle-même et ainsi éviter de gâcher quoi que ce soit. Je vais me limiter au minium : c’est un récit globalement long et lent (quoique court), mais pourtant passionnant à chaque page, où il faut attendre quelques dizaines de pages avant d’y trouver la première réplique d’un personnage, plus longtemps encore pour un simple dialogue. Sur une planète paradisiaque, mais vouée à disparaitre sous la neige, les spécificités sociales, physiques, historiques, en un mot l’identité, de ce monde et de ses habitants se découvrent petit à petit.

L’ensemble fonctionne sur de vastes descriptions, parfois alternées avec quelques dialogues dont on ne sait parfois s’ils durent 5 min ou 5 jours. L’histoire est contée par un seul et unique personnage, sous la forme d’un témoignage d’une époque passée. D’autres personnages interviennent, encore qu’ils demeurent peu nombreux.

J’ai été impressionné par le talent de l’autrice à développer à la fois l’identité propre et les questionnements et évolutions de la réflexion de son protagoniste (encore que l’on puisse se demander si la planète ne tient pas finalement ce premier rôle). Si le style lent, mais jamais laborieux, peut manquer de dynamisme, c’est en réalité un régal que de dérouler un processus de penser et de le voir se modifier lui-même, faire la place à de nouveaux concepts, plonger au plus profond de la raison et de ce qui fait l’identité et la résilience. Le tout en faisant parfaitement ressortir le côté parfois engourdi de son personnage.

Le dénouement m’a semblé parfait à postériori, mais m’a laissé sur ma faim à la lecture. Il est logique et marque l’aboutissement d’un processus de transformation (faute d’un meilleur mot qui pourrait trop en dire), sans pour autant prendre la forme d’un climax au sens apothéose. Mon seul regret : je ne dispose pas de la toile de fond nécessaire pour correctement saisir ce qu’est Canopus et quelle est son action. Chose que je corrigerai comme il se doit en lisant les autres opus et en commençant par le premier tome cette fois.

Commande sur un coup de tête, L’invention du représentant de la planète 8 s’est révélée être une jolie surprise en soi doublée de la découverte d’une autrice que j’apprécie d’ores et déjà beaucoup. Réservé sans doute à ceux qui peuvent apprécier son rythme particulier, c’est de toute façon un ouvrage qui révèle ses saveurs encore quelque temps après la lecture. Et qui se trouve d’ailleurs parfaitement à sa place dans le catalogue de La Volte.