Permanent Record
Surprise ! Alors que la demeure semblait inoccupée, voire abandonnée, depuis quelques mois, vous apercevez au travers du brouillard et de la fenêtre une lumière. Vous ne rêvez pas, c’est bien un nouvel article qui semble tranquillement vaquer à ses occupations dans l’Espace-Poulpe. Fou non ?
Si cette année reste définitivement celle de mon retour à la lecture, ces derniers mois sont aussi ceux ou le travail, la famille (2 enfants = 5x plus d’énergie nécessaire. On peut questionner les maths, mais le résultat est là), un deuil et la météo ont eu raison de mes heures de lectures qui se sont réduites à une poignée de minutes ici et là.
Mais trêve de contexte, j’ai pu dévorer (lentement) le livre d’Edward Snowden : Permanent Record (Mémoires vives par chez nous). Toujours exilé en Russie suite à sa fuite des USA et à la diffusion d’informations confidentielles concernant la surveillance de masse, notre homme a décidé d’utiliser son temps pour écrire son histoire. Il s’agit donc d’une autobiographie couvrant le spectre de son enfance à nos jours, au travers de 3 grandes parties. Je ne vais pas me lancer dans un cours d’histoire : si vous n’avez pas suivi l’affaire, l’essentiel est résumé ici.
My name is Edward Joseph Snowden. I used to work for the government, but now I work for the public. It took me nearly three decades to recognize that there was a distinction, and when I did, it got me into a bit of trouble at the office.
Ne serait-ce que pour ce qu’il a fait, j’admire Snowden. Non seulement a-t-il pris la mesure de ce pour quoi il travaillait, mais au lieu de simplement quitter son job il a choisi de lever le voile sur les coulisses. Il ne l’a pas fait comme un sauvage en publiant tout n’importe comment (coucou Assange !), mais en s’associant a des journalistes. Sauf qu’à se conduire décemment en exposant les dérives du pouvoir, son pays n’a pas vraiment choisi de lui remettre une médaille d’honneur. Pas encore du moins ?
Entre cela et mon affinité naturelle avec les technologies, l’informatique et les thématiques de la sécurité en ligne, je n’ai pas eu besoin de me forcer pour attaquer ce livre d’environ 360 pages. Première bonne – que dis-je ? – excellente surprise, c’est que Snowden écrit bien. Très bien même. Difficile de juger du travail nécessaire pour en arriver là, c’est après tout son premier et seul livre à ce jour. Mais autant je m’attendais à quelqu’un de réfléchi avec un livre structuré, autant je ne m’attendais pas à cette qualité d’écriture. Un préjugé facile, je le concède, mais c’est un technicien après tout.
The first thing I ever hacked was bedtime.
Ainsi la plume est fine, avec un sens de la formule très agréable. L’auteur prend toujours soin de construire sa réflexion de façon méthodique et intelligible. Chaque anecdote, chaque morceau de vie représente une des étapes l’ayant mené où il est aujourd’hui. C’est simple : rien de dépasse, tout s’imbrique parfaitement avec un objectif simple à l’horizon, faire comprendre un double “pourquoi” au lecteur : pourquoi a-t-il agi ainsi et pourquoi ce qu’il a révélé est important.
De son enfance avec ses premiers hacks IRL, à son entrée dans le monde des jeux vidéos et de l’informatique, sa vie en ligne, sa famille et son approche du devoir ou de la loyauté, sa vie privée et ses différents boulots, la CIA, la NSA, etc. : tout y passe. Les trois parties sont toutes intéressantes et se lisent différement. Dans la première, il sera question de l’enfance et du passage à l’âge adule, de l’engagement pour son pays et du déclencheur qu’a représenté le 11 septembre.
La seconde partie s’intéressera à l’entrée de l’idéaliste patriote souhaitant aider et défendre son pays dans le monde de l’IC : Intelligence Community, le royaume des secrets et de la manipulation, où l’information est reine. Il est alors question de découvrir dans le détail plusieurs affectations, dont Genève, Tokyo et Hawaï. Ce parcours est celui de l’éveil politique et moral : s’il semble toujours simple de juger de la moralité d’une situation de l’extérieur, le faire de l’intérieur, lorsque l’on est un rouage d’une machine et que l’on sert son pays est une autre paire de manche.
Breaking a 128-bit key would take 264 times longer than a day, or fifty million billion years. By that time, I might even be pardoned.
Mais une fois cette prise de conscience initiée, que faire ? C’est le sujet de la troisième partie. On entre alors par certain côté dans un thriller. On a beau connaitre la fin, le parcours est passionnant et non dénué de danger. Le tout alterne entre la description de son travail au jour le jour, récupérant en même temps des informations dont la simple possession pouvait l’envoyer en prison, et des passages plus axés sur la réflexion : qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ? Quelle est son allégeance ? Faut-il assumer seul ce fardeau ou le partager ? Quid de la sécurité des proches ? On arrivera bien vite à la fuite, partie déjà la plus connue de l’histoire, mais sur laquelle le livre projette un éclairage neuf, mettant quelques éléments intéressants en relief.
Finalement, je suis sorti du livre à la fois impressionné par l’histoire globale (l’ampleur de la surveillance globale révélée au public) et celle de l’homme. Découvrir l’origine des multiples facettes d’une vie dont l’ensemble a donné naissance à une personne singulière, à mes yeux un exemple moderne, est instructif.
Sur la partie surveillance, je n’ai pas appris grand-chose. Mais c’est finalement assez logique : l’essentiel a déjà été dit et j’ai passé suffisamment de temps à suivre cette partie, à l’approfondir et à ma familiariser avec quelques concepts ces dernières années. Il s’agit pourtant d’une face importante du livre. Si l’aspect technique vous fait peur, Snowden se montre particulièrement didactique et efficace dans ces explications, s’assurant systématiquement qu’elles soient à la portée du plus grand nombre. Après tout, ne sommes-nous pas tous concernés ?
I was carrying one of the big old hulks back to my desk when I passed one of the IT directors, who stopped me and asked me what I needed it for—he’d been a major proponent of getting rid of them. “Stealing secrets,” I answered, and we laughed.
Un seul petit regret pour ma part. Je le disais plus haut, rien ne dépasse dans cette autobiographie. Il n’y a finalement pas grand chose qui ne soit pas en lien avec la grande Histoire telle qu’elle est connue par le grand public. Et rien qui ne soit trop négatif. L’auteur met naturellement en avant sa grande intelligence, sans en faire trop, de façon assez honnête je trouve, et admet bien volontiers avoir mis un certain temps avant de comprendre ce à quoi il prenait part, puis à prendre position. Mais le portrait, aussi intéressant et pertinent soit-il, se trouve finalement un peu lisse. Chacun se fera son idée : cela ne m’a pas gêné à la lecture. Pour comparer, la biographie de Steeve Jobs par Walter Isaacson se permet d’écorcher bien plus son sujet, ce qui n’est pas inintéressant non plus. Peut-être est-ce un point de différenciation entre biographie avec de multiples voix et autobiographie avec un point de vue unique.
Toutefois, on parle d’un livre qui dénonce la surveillance de masse et qui invite chacun à comprendre ce que représente la vie privée pour mieux la défendre. Dans ce contexte, peut-on reprocher que des éléments privés et non pertinents pour l’histoire en soient absents ?
Quoi qu’il en soit, sans surprise, j’ai adoré cette lecture. Je ne suis pourtant pas vraiment client des biographies en général (j’ai celle de Mandela sur une étagère depuis bien longtemps, sans l’avoir ouverte), mais force est de constater que celle-ci se dévore avec plaisir. Que vous connaissiez les contours de l’histoire ou non, que la surveillance de masse et ses implications politiques vous intéresses ou pas, que la notion de vie privée vous soit chère ou pas vraiment, que vous cherchiez une lecture sur un homme ou sur l’Histoire, un ouvrage politique ou un thriller moderne, je vous encourage à le lire. Car c’est tout cela à la fois et c’est fascinant. Cela définit une partie de notre époque, parle d’une révélation aux conséquences mondiales ayant engendré un virage dans la perception de la technologie. Et c’est important.
[…] as Hemingway once wrote, the way to make people trustworthy is to trust them.
It’s only in this context that the US government’s latitudinal relationship to leaking can be fully understood. It has forgiven “unauthorized” leaks when they’ve resulted in unexpected benefits, and forgotten “authorized” leaks when they’ve caused harm.
I was told that it was in fact slightly better to offer secrets for sale to the enemy than to offer them for free to a domestic reporter. A reporter will tell the public, whereas an enemy is unlikely to share its prize even with its allies.